En 2009, le journal néerlandais De Volkskrant décerne le titre de la ville la plus laide du monde à Charleroi. Près de dix ans plus tard, les Carolos veulent prouver le contraire. Ils tentent de redynamiser leur ville, tout en restant attachés au patrimoine industriel.
Colleen Tordeur
« À un moment donné, l’industrie lourde va disparaître de Charleroi. C’est un processus inéluctable. », avoue André Lierneux. L’historien carolo enchaîne : « On est entre la fin d’un monde et le début d’un autre qui doit s’installer et dans lequel la population doit pouvoir s’impliquer. » André organise des Carolos Bus Tour avec sa femme Béatrice Garny. Le couple d’historiens emmène les touristes et les curieux à la découverte du Pays noir.
Charleroi se reconnaît à ses terrils. La visite commence en haut de ces collines construites par l’accumulation de résidu minier. Y grimper offre une vue imprenable sur tout le développement sidérurgique de Charleroi.
« L’usine vient enfermer la ville comme une paire de tenailles »
Le paysage se partage entre les entreprises innovantes et les friches servant de parfaits décors de films d’épouvante. André et Béatrice ravivent la mémoire de bâtiments aux vitres cassées et aux façades délavées. En enjambant les ferrailles, ils racontent comment Charleroi était la locomotive économique du pays : grâce à ses ouvriers. Souvent issus de l’immigration, les ouvriers formaient une catégorie à part dans le tableau sociologique de la population. La disposition des maisons dans les quartiers en témoigne encore. La maison du patron fait face à l’usine. Plus loin, on retrouve les maisons d’architectes, puis des employés. Au fond du quartier, les maisons d’ouvriers sont les plus petites et les plus éloignées.
André Lierneux résume : « Il n’y a pas que le patrimoine en dur, les usines et ateliers. L’aspect paysager importe aussi. Une des caractéristiques de Charleroi est la grande proximité entre les usines et le cœur de ville. L’usine vient enfermer la ville comme une paire de tenailles. »
Fiers de leur passé industriel
Avec la révolution industrielle, le travail du fer et de l’acier a permis à la Wallonie de devenir la deuxième puissance économique mondiale. La sidérurgie belge est restée au sud du pays jusque les années 1960. Dans le bassin de Charleroi, 90 000 sidérurgistes gagnaient leur pain à cette époque. Les années 1970 marquent la fin du rêve wallon. Au détour des usines longeant le Canal Bruxelles-Charleroi, Béatrice annonce qu’il reste moins de 3 000 sidérurgistes dans la cité des zèbres.
L’industrie fait partie de l’ADN des citoyens. « On a tous dans nos familles, des personnes qui ont travaillé dans la sidérurgie, dans la métallurgie, dans la mine. Ça fait partie de l’histoire du Pays noir. », explique Véronique Salvi, petite-fille de mineur et conseillère communale à Charleroi.
À la mine ou à l’usine, « les ouvriers vivaient dans des conditions épouvantables, mais avaient une fierté de leur métier », développe André Lierneux. Les Carolos tiennent à leur patrimoine industriel et à ses symboles. Au-delà de l’échec économique, les grands bâtiments représentent à la fois la puissance de l’industrie et le rappel du savoir-faire. Il n’y a pas un quartier de Charleroi qui n’a pas gardé une trace du passé. Les participants de la visite s’étonnent de repérer d’anciens rails de tram, utilisés pour approvisionner les usines en matériaux et en hommes. « Ce sont des monuments à la mémoire de ce que pouvait faire la population active à ce moment-là. », expose l’historien et guide officiel de la ville.
Les anciens sidérurgistes expriment des avis passionnés. Leurs souvenirs les raccrochent à ce qui ressemble maintenant à des tas de briques et de métaux abandonnés. S’ils veulent redorer l’image de Charleroi, cela ne se fera pas sans garder des traces de l’histoire dans la mémoire collective. Certains bâtiments ont été réhabilités, comme les fonderies Thiebaut transformées en logements pour étudiants. D’autres, comme la fonderie Léonard-Giot, sont classés.
Malheureusement pour les amoureux du patrimoine industriel, Charleroi ne peut pas devenir une ville musée. Sans quoi, elle périrait en tant que ville la plus laide au monde.
Colleen Tordeur
Mai 2018
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