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Le Haut Fourneau 4, un symbole cher aux Carolos

Dernière mise à jour : 8 févr. 2019

Aussi mythique que celle de David contre Goliath, une lutte se dresse à Charleroi. D'un côté, Duferco, le propriétaire privé du site de Carsid, entame la démolition de ses structures. De l'autre, les autorités publiques poussées par la mobilisation citoyenne, aimeraient sauvegarder le haut fourneau de Marcinelle comme patrimoine industriel. Le nerf de la guerre, c'est le budget.


Colleen Tordeur


La cathédrale de fer tombera si un budget suffisant n'est pas mis sur la table. © Edouard Aerts

Duferco reprend la phase à chaud de Cockerill Sambre en 2001, sous le nom Carsid. Le trader italo-suisse rénove le haut fourneau 4 en 2007. La promesse de le maintenir 15 ans de plus part en fumée quand la crise financière s’abat sur Marcinelle. Duferco suspend les activités de Carsid en novembre 2008. L’arrêt du haut fourneau 4 est estimé à 3 mois. Antonio Gozzi, patron de Duferco, cherche à céder le site pour un euro symbolique. Le HF4 ne redémarrera jamais. En avril 2012, Duferco ferme définitivement l’entreprise, faute de repreneur. 900 travailleurs se trouvent alors laissés sur le carreau.


Depuis 2013, d’anciens sidérurgistes et autres citoyens se battent pour sauver ce symbole de l’industrie carolo. Ils créent un Comité citoyen pour la sauvegarde du HF4. Le collectif lance une pétition et récolte près de 6 000 signatures. Suite à cette mobilisation citoyenne, les autorités communales décident de mettre en place un groupe de travail. Ce groupe se compose de représentants politiques, de membres d’ASBL, d’anciens ingénieurs et du Bouwmeester de la Ville de Charleroi notamment. En 2015, ils publient une « étude du potentiel du patrimoine industriel de la Porte Ouest ». Un plaidoyer de 62 pages pour la conservation du haut fourneau et de quelques éléments périphériques comme les trois cheminées de l’agglomération et les passerelles.




 

Qu’est-ce qu’un haut fourneau ?


Un haut fourneau est un four industriel utilisé pour fabriquer de la fonte qui, à terme, donnera de l’acier. Ce four peut atteindre jusqu’à plus de 80 mètres de haut, d’où son nom. Il brûle un mélange de minerai de fer et de coke à 1 600 °C. La chaleur permet aux atomes de carbone de se mêler aux atomes de fer pour donner un nouveau produit : la fonte. Une telle température ne peut être obtenue dans un bas-fourneau, outil des premiers temps de la sidérurgie.


Le haut fourneau représente l’engin le plus symbolique du sidérurgiste. En 1960, il y en avait 57 en Wallonie. Aujourd'hui, il n’en reste que 3 :

- celui de Clabecq, totalement dépouillé ;

- le HFB d’Ougrée, mis sous cocon dans l’attente d’une reprise industrielle ;

- le HF4 de Marcinelle.


 

Des volontés divergentes

À l’heure actuelle, les négociations sont en cours. « Le blocage est financier », reconnaît Véronique Salvi, présidente du groupe de travail. Quand les projets de chacun divergent, il est plus difficile d’établir un budget qui convienne à tout le monde.


Le groupe de travail a retenu un scénario intermédiaire de réaffectation du haut fourneau et de ses annexes. Il prévoit de conserver le haut fourneau, de nettoyer le site, de mettre en valeur l’ensemble par un projet d’éclairage et de faire de ce site un lieu visitable. Ce scénario est budgété à 8 millions €. Une somme considérable que la Ville ne peut se permettre de débourser. « Notre objectif c’est de sauvegarder le plus possible du haut fourneau, tout en restant réaliste sur ce qu’on peut gérer par après. », révèle Pierre Foucart, chef du cabinet de l’échevin en charge du patrimoine. Car la gestion d’un tel site reviendrait à 1 million € chaque année. « Si on sauvegarde tout ce que le collectif veut, on va mettre la ville en difficulté dans les années à venir. »


Racheter au prix de la ferraille reviendrait à plus de 4 millions €


Si Duferco était prêt à laisser le site de 104 hectares pour un euro symbolique à la fermeture de Carsid, ce n’est plus le cas aujourd'hui. Presque 10 ans plus tard, le prix des ferrailles a flambé. L’expert employé par la Ville de Charleroi, Antonio Di Santo, est aussi un ancien sidérurgiste de Carsid. Il a estimé le coût d’un éventuel rachat uniquement sur le prix de la ferraille. « Aujourd'hui, la ferraille est à peu près à 220-230 € la tonne. Rien que le haut fourneau représente 18 000 tonnes de ferraille. », rationnalise-t-il. Le montant tourne donc autour de 4,05 millions €. Pas étonnant que Duferco souhaite démolir les structures du site pour en revendre les matières premières.



 

Un conflit entre carolos


Les anciens sidérurgistes du Comité citoyen pour la sauvegarde du HF4 ont des avis passionnés. Ils imaginent déjà le haut fourneau réaménagé en musée ou en salle de spectacles. Selon différents observateurs, leurs souvenirs personnels les empêchent d’avoir une réflexion rationnelle.


« Le problème est simple mais si on ne veut pas l’entendre ça devient difficile. Le HF4 appartient à un groupe privé. Plus on veut avoir un ensemble d’installations, plus le coût d’achat grimpe. Le Comité citoyen pense qu’on peut avoir ça pour rien. Désolé mais je ne vois pas comment. » - Antonio Di Santo, expert à la Ville de Charleroi


« Quand on discute avec l’expert choisi par le cabinet Magnette, on a l’impression que c’est Duferco qui parle » - Gérard Lorge, ancien ingénieur de Carsid


Entre amoureux du patrimoine et esprits plus raisonnés, ça chauffe au Pays noir.


 

André Lierneux, historien membre du groupe de travail, résume la situation : « On est confronté à une friche industrielle de très grande dimension. Son propriétaire privé veut valoriser les anciennes installations avant qu’elles ne deviennent un tas de rouille. »

« On nous accuse d’être indifférents au patrimoine »

Chez Duferco, personne n’a souhaité répondre à nos questions. Olivier Waleffe, CEO de Duferco Wallonie, s’exprimait dans les pages du Soir en mai 2017 : « On nous accuse d’être indifférents au patrimoine mais nous avons obtenu de la ville un permis de démolition partielle, qui ne nous oblige qu’à conserver la silhouette du haut fourneau. Nous allons donc démolir pour reconvertir le site et le valoriser. Quant au HF4, si on ne peut pas le démolir, il faudra nous l’acheter ».


Un appel à l’aide à la Région

La Ville de Charleroi se tourne alors vers la Région wallonne et son ministre du Patrimoine, René Collin. Une bouteille à la mer pour tenter de sauver le dernier haut fourneau du bassin de Charleroi. Le problème est qu’avec un budget de 45 millions € par an alloué au patrimoine, hors de question de débourser 8 millions pour satisfaire les désidératas du Comité citoyen.


Le gouvernement wallon débloque une enveloppe de 3,8 millions € pour racheter le haut fourneau à Duferco. C’était en juin 2017, juste avant que le CDH ne divorce du PS. Depuis le changement de majorité, les négociations se compliquent et le dossier semble au point mort. La Région wallonne essaie de gagner du temps. Son objectif : laisser Duferco vider le haut fourneau pour négocier le prix de rachat à la baisse. Selon le permis de démolition partielle accordé par la Ville, Duferco a le droit de récupérer les matières premières présentes à l’intérieur du HF4. « Quand vous changez votre salon à l’intérieur de votre maison, vous n’avez pas besoin de permis », ironise Pierre Foucart.


Mathieu Perrin, chef du cabinet René Collin, nous confie que « le haut fourneau n’est pas prioritaire pour la Région ». Le Ministre du Patrimoine wallon essaie tout de même de le sauver pour en faire « un totem éclairé, mais non visitable. » La logique économique est imprenable. Reste maintenant à convaincre Duferco qu’ils ont plus à gagner en revendant le haut fourneau qu’en le détruisant.



Colleen Tordeur

Mai 2018



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